Une nouvelle étude révèle que les enfants autistes montrent un intérêt exceptionnel pour les lettres et les chiffres. Il est souvent méconnu en raison de leur préférence pour les activités solitaires.
Au cours d’évaluations diagnostiques, de nombreux enfants autistes se dirigent spontanément vers un tableau magnétique avec des lettres et des chiffres. Mais l’intérêt pour les chiffres et les lettres est-il si fréquent chez les enfants autistes? Et quelle est précisément la nature de cet intérêt?
Pour répondre à ces questions, Alexia Ostrolenk, chercheuse et diplômée en sciences psychiatriques de l’Université de Montréal, a conçu et mené une étude d’envergure auprès de plus de 700 jeunes enfants, sous la direction de Laurent Mottron, professeur au Département de psychiatrie et d’addictologie de l’UdeM et psychiatre à l’Hôpital en santé mentale Rivière-des-Prairies du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Nord-de-l’Île-de-Montréal. L’équipe était constituée de David Gagnon, doctorant en psychiatrie, Mélanie Boisvert, étudiante en sciences psychiatriques, Océane Lemire, doctorante en psychologie, et Marie-Pier Côté, doctorante en psychologie, tous de l’Université de Montréal, ainsi que de Sophie-Catherine Dick, doctorante en psychologie à l’Université de Sherbrooke.
Cette recherche a bénéficié du soutien du Fonds de recherche du Québec – secteur Santé, du Réseau pour transformer les soins en autisme et de la Chaire de recherche Marcel et Rolande Gosselin sur les neurosciences cognitives de l’autisme.
Plus de 700 dossiers médicaux évalués
Les chercheurs ont examiné les dossiers médicaux de tous les enfants ayant été évalués pour un trouble du spectre autistique à l’Hôpital en santé mentale Rivière-des-Prairies, affilié à l’Université de Montréal, entre 2018 et 2021. Ces enfants étaient au nombre de 701, dont 391 autistes, tous âgés en moyenne de quatre ans et demi. «On a cherché dans les comptes rendus si les psychiatres et les psychologues avaient mentionné certains éléments relatifs à un intérêt pour les lettres ou les chiffres», explique Alexia Ostrolenk.
Ensuite, des entretiens téléphoniques de 45 minutes ont été réalisés avec 138 parents d’enfants autistes, 99 parents d’enfants non autistes au développement atypique et 76 parents d’enfants neurotypiques. Ces entretiens ont permis d’explorer de façon plus approfondie les comportements des enfants vis-à-vis des lettres et des chiffres. On a ainsi demandé aux parents si leur enfant chantait l’alphabet, s’il s’amusait à écrire des lettres ou encore s’il demandait à ce qu’on lui lise des livres. Ces questions ont aidé à distinguer les comportements sociaux (lire avec un adulte) des comportements non sociaux (écrire seul).
Un intérêt marqué pour les lettres et les chiffres
Les résultats montrent des différences significatives entre les enfants autistes et les enfants non autistes en ce qui concerne l’intérêt pour les lettres et les chiffres. Ainsi, 20 % des témoignages faisaient état d’un intérêt intense ou exclusif pour les lettres chez les enfants autistes, contre seulement 3 % dans le groupe non autiste. Les entretiens directs révèlent une tendance encore plus prononcée: 37 % des enfants autistes présentaient un intérêt intense ou exclusif pour les lettres, une proportion qui dépasse les 20 % observés dans les rapports cliniques. «Ce taux de 37 %, c’est considérable, surtout lorsqu’on sait que la majorité des enfants autistes sont minimalement verbaux», souligne David Gagnon.
De plus, 17 % des enfants autistes manifestaient un intérêt intense ou exclusif pour les chiffres, comparativement à 2 % dans le groupe clinique non autiste. Les enfants autistes avaient donc 3,49 fois plus de chances d’avoir un plus grand intérêt pour les chiffres, à âge équivalent.
Les résultats indiquent également que cet intérêt pour les chiffres et les lettres apparaît à peu près au même moment que chez les enfants neurotypiques, soit à 30 mois en moyenne au lieu de 36 mois chez les seconds.
Un intérêt moins détecté… car moins social!
Les enfants autistes montrent un intérêt pour les lettres et les chiffres à travers des activités solitaires. Ainsi les parents ne le détectent pas toujours!
«Les comportements sociaux sont plus faciles à voir pour les parents, puisque ceux-ci y participent: on leur demande d’être présents pour lire un livre. Mais les comportements non sociaux peuvent se traduire par des activités solitaires que les parents peuvent ne pas remarquer, car ils n’en font pas partie», explique Alexia Ostrolenk.
«Certains parents ont ainsi déclaré que leur enfant ne disait pas un mot, mais, en répondant à d’autres questions, ils s’aperçoivent que leur enfant récite des chiffres ou l’alphabet», poursuit la chercheuse, soulignant la différence entre les perceptions des parents et les comportements qu’ils décrivent.
Un intérêt plus grand pour les lettres malgré un retard de langage
Les résultats montrent que les enfants autistes peuvent acquérir une compétence précoce pour les lettres même en présence de ce qui semble être un retard marqué dans les compétences linguistiques verbales. «Un enfant qui ne communique pas, donc qui n’utilise pas le langage pour entrer en relation, va pourtant avoir de façon concomitante un intérêt pour les lettres. Mais il ne va pas l’utiliser dans une dimension relationnelle», signale David Gagnon.
L’accumulation de connaissances linguistiques chez certaines personnes autistes doit se faire différemment, supposent les chercheurs. «Il y a des anecdotes au sujet d’enfants autistes qui ne parlaient pas du tout et les parents ont découvert qu’ils faisaient des phrases complètes et complexes dans des situations d’urgence, illustre Alexia Ostrolenk. Par exemple, un enfant a pu expliquer qu’il y avait un feu dans la cuisine et qu’il fallait partir tout de suite alors qu’il n’avait jamais parlé auparavant.»
Repenser les méthodes d’intervention pour les personnes autistes
Si l’étude donne à penser que l’acquisition du langage chez certaines personnes autistes suit une voie autre, il pourrait alors y avoir de nouveaux paradigmes éducatifs. «Par le passé, un intérêt intense pour les lettres était souvent perçu comme un obstacle au développement normal de l’enfant. On pensait qu’il fallait limiter cet intérêt pour favoriser une concentration sur d’autres aspects du développement. On disait: “Il ne parle pas, il faut arrêter de lui lire des livres.” Cependant, si nous montrons que la lecture peut constituer une étape essentielle dans le développement du langage oral chez ces enfants, alors nous devons encourager cet intérêt et soutenir l’enfant dans son propre parcours, même s’il diffère de la trajectoire typique», note Alexia Ostrolenk.
«Pour innover dans la discipline, il ne faut pas juste regarder ce que les enfants ne font pas ou font différemment, il faut aussi comprendre où se situe leur intérêt, puis comment ils réussissent à se développer avec une perception probablement différente du monde», conclut David Gagnon.
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Ce contenu a été mis à jour le 30 octobre 2024 à 22 h 48 min.
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